Des mots semblables à ceux-ci ont été prononcés par le premier ministre Legault pendant les conférences de presse suite à la situation désastreuse qu’a causé la COVID-19 parmi la population des personnes âgées : Il faut faire mieux pour nos aînés. Nous devons tous ensemble mieux nous occuper des personnes âgées et nous leur devons bien cela.
Oui !
Ayant travaillé avec les personnes âgées et leurs familles, tout d’abord dans des résidences et ensuite en créant ma propre entreprise dans le but d’améliorer la vie des aînés au sein de notre communauté, je voudrais ici vous faire part de mes réflexions sur le sujet. En effet, si nous voulons voir des changements concrets et faire mieux pour nos aînés, il ne suffit pas d’examiner les structures et les aménagements des établissements où ils vivent. Cela va bien plus loin que de contrôler une épidémie dans les centres de soins de longue durée (CHSLD). L’hébergement ne représente qu’une petite partie – une partie qui a son importance, bien sûr – mais quand même une toute petite partie du changement en profondeur qui doit se faire.
Est-ce que cela vous est déjà arrivé ? Un client vous ouvre la porte et, tout à coup, quand il vous aperçoit, vous vous retrouvez avec une personne âgée en train de pleurer dans vos bras parce qu’elle a peur, qu’elle est désespérée et qu’elle ne sait absolument plus quoi faire. Ça m’est arrivé. Ça m’est arrivé tellement de fois que je ne les compte plus. Alors on s’assoit et on parle ; ils me racontent certains moments de leur vie, me disent qu’ils ne se sont pas vus vieillir et qu’ils n’ont vraiment pas l’impression d’avoir l’âge qu’ils ont. Ils aimeraient trouver de meilleures solutions à leurs difficultés. Ils veulent vivre, mais ont peur de mourir. Ils ne savent pas à qui demander de l’aide de peur qu’on leur mette de la pression. Ils sont fatigués qu’on parle et qu’on pense à leur place, que les gens qui les croisent dans la rue ne les voient pas. Ils aimeraient que leurs enfants, leurs petits-enfants et leur famille leur rendent visite ou, tout simplement, les appellent. La belle maison où ils ont élevé leur famille devient trop grande et trop difficile à entretenir et ils commencent à se demander comment ils vont faire. Leurs enfants qui sont maintenant des adultes, ne sachant pas comment les aider ou leur parler des changements qu’ils observent chez eux, et sans doute parce qu’ils ont eux-mêmes peur, les intimident, les forcent, les « poussent » à avancer. Comme si on prenait pour acquis que les aînés doivent s’adapter, réagir ou faire les choses comme on l’entend.
Avez-vous déjà été là le jour du déménagement d’une personne âgée ? Quand toutes ses affaires sont dans des boîtes et que les déménageurs remplissent le camion ? Oh ! Et que ces personnes qui déménagent ont presque quatre-vingt-dix ans et que l’une d’elles utilise une canne ou une marchette ? Moi oui. Bien sûr, le temps presse et la facture monte vite. Je le sais bien. Mais plus d’une fois, et lors de plusieurs déménagements, j’ai dû demander aux déménageurs de ramener les chaises sur lesquelles les personnes âgées étaient assises et desquelles ont leur avait demander de se lever pour pouvoir les mettre dans le camion… quand il restait au moins une heure avant que le camion soit prêt à partir… les personnes âgées étant censées rester debout pendant tout ce temps. Vraiment ?
Vous voyez, quand une personne âgée se retrouve à l’hôpital parce qu’elle s’est cassé quelque chose et qu’elle attrape une bactérie résistant aux antibiotiques, ou qui se propage facilement, et que revenir à la maison n’est alors plus une option ? Vous avez déjà appelé des résidences pour personnes âgées ou CHSLD dans le but de trouver un nouvel endroit confortable qui puisse répondre à tous les besoins de cette personne, bactérie comprise ? Moi oui. La transparence est vraiment importante lorsqu’on sait qu’une personne doit trouver les meilleurs soins qui soient aujourd’hui, mais aussi pour la suite parce qu’il est possible que la situation évolue et qu’elle ait besoin de soins supplémentaires. De son côté, la résidence ne peut pas courir le risque de faire entrer quelque chose de contagieux entre ses murs car elle doit assurer la protection de tous les résidents sur place. Depuis les débuts de mon entreprise, j’ai pu constater que les protocoles des résidences ont toujours été exigeants quand il était question de bactérie, de virus, d’agression, de niveau de soins et de tout ce qui doit être mis en place pour protéger une clientèle vulnérable. Les résidences et les services côtoient les risques de contagion depuis bien avant la COVID-19. Et ce, tous les jours. Mais comme pour toutes les entreprises, les établissements ne sont pas tous équivalents*.
L’automne dernier, on m’a demandé d’aller parler aux étudiants du programme de travail social d’un cégep de la région. Pourquoi ? Eh bien parce qu’au cours d’un barbecue dans le voisinage ma réponse à la question « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » a piqué la curiosité. « Oh. Ce serait super que tu puisses venir parler à mes étudiants. On aborde beaucoup de clientèles différentes, mais pas les personnes âgées. Oh, tu me fais réaliser qu’il faut vraiment qu’on s’adresse à eux aussi. » Euh. Pardon ? Le travail auprès des aînés ne fait pas partie du curriculum des étudiants qui s’engagent à devenir des travailleurs sociaux de niveau collégial? Incroyable. Ça m’a jetée par terre.
Si vous travaillez auprès des personnes âgées, avez-vous déjà essayé de déposer des droits de propriété intellectuelle au Canada ? Moi oui. Des mots-clés comme résidence pour personnes âgées, services de consultation pour aînés, services de déménagement pour aînés, services de gérontologie et bien d’autres termes reliés… n’existaient pas dans la base de données. Si ces termes se trouvent aujourd’hui dans la base de données de l’OPIC, c’est que j’ai dû les créer pour nous, pour le Canada, pour mon domaine professionnel ; que j’ai dû les inscrire un à un dans un processus assez pénible encore aujourd’hui. Il y a – ou avait — tellement peu de choses dans cette base de données concernant les entreprises spécialisées pour les personnes âgées. Ah, vraiment ? (Allez-y ! J’ai fait tout cela de nuit, dans mon bureau au sous-sol, en n’en revenant tout simplement pas d’être obligée de faire ça, mais en le faisant tout de même par passion et par conviction.)
Ah oui, le dernier recensement. Saviez-vous que parce qu’elles vivent dans une résidence, plusieurs personnes âgées autonomes voient leur formulaires remplis pour eux ? Et que tout ce qu’on leur demande est leur nom, leur date de naissance, leur adresse et pas grand-chose de plus ? J’ai été vraiment surprise d’apprendre que mes parents qui sont autonomes n’avaient pas rempli eux-mêmes leur formulaire. Mais bon, c’est vrai que plusieurs autres personnes de la résidence ont des pertes de mémoire… Curieuse, et même si je sais bien que mon est insuffisant pour me faire une idée juste, j’ai décidé d’appeler deux autres résidences. Ces deux établissements hébergeaient à la fois des personnes âgées autonomes et d’autres personnes nécessitant des soins complets, y compris pour leur mémoire, ce qui se voulait plus représentatif pour ma recherche que seul l’endroit où vivaient mes parents à l’époque. Pour résumer : les trois résidences avec qui j’ai parlé — et ce même si elles hébergeaient une clientèle autonome en mesure de signer leurs propres documents légaux — remplissaient et signaient les formulaires de leurs résidents à la demande des services du recensement. Ouais. Ah bon ? Pourquoi ? Sachant que la population est vieillissante, n’aurait-on pas intérêt à recueillir plus d’informations au sujet des personnes âgées pour leur offrir de meilleurs services ?
Avez-vous déjà eu une conversation avec un ou une ami(e) qui vous dit : « Je ne sais vraiment pas comment dire à mon père qu’il a des “petits accidents”» ? C’est vrai ? Personnellement, je crois que cet homme est au courant et qu’il a déjà remarqué des changements au niveau de ses capacités et de son autonomie. Les tabous autour du vieillissement sont tellement grands et nombreux que tout le monde préfère se boucher les yeux et éviter le sujet. Trop de honte. Trop de culpabilité. Trop d’émotions. Trop de peur. Le silence et l’évitement règnent à toutes les étapes du vieillissement.
Avez-vous déjà entendu par hasard ce genre de conversation : « Ok. Elle mange dans cinq minutes. Ça nous donne juste assez de temps pour faire signer les papiers à Maman sans qu’elle pose trop de questions » ? Ou en ce genre de paroles : « Mes enfants ne veulent pas que je m’achète de nouveaux souliers parce qu’ils disent que j’en ai déjà assez » ? Moi oui. J’ai entendu ce genre de choses tellement, tellement, tellement de fois. Ça déchire le cœur.
Avez-vous déjà entendu des professionnels, des familles, des gens dans les médias ou des amis parler entre eux et dire qu’ils doivent placer une personne âgée ou encore qu’une personne âgée qu’ils connaissent a été mise à un certain endroit ? Moi oui. Ces paroles m’ont fait pleurer tellement de fois. Au cours des années, j’ai observé l’utilisation que l’on fait de la langue et j’ai remarqué que lorsque quelqu’un présente une faiblesse, on « le met dans une classe spéciale », on « la met dans le coin », on « place ses parents »… Pour les personnes âgées, il faut remplir une « Demande de placement » si elles ne peuvent plus rester à la maison. On les place ou on les met alors dans une résidence. On les place ou on les met au deuxième étage. Dans le dictionnaire, on peut lire comme illustration du verbe « placer » : Être placé dans une . Vraiment ? Ce ne sont pas seulement les objets que l’on peut mettre ou placer quelque part… sur une étagère, une table ou dans une armoire ? Les gens ne sont pourtant pas des objets, ne l’ont jamais été et ne le seront jamais, quels que soient leurs besoins.
Je me suis fait la promesse de parler du vieillissement et de visiter les résidences pour personnes âgées partout où j’irais dans le monde et, jusqu’à aujourd’hui, c’est ce que j’ai fait au Canada, aux Etats-Unis et en Europe. Tout le monde — que ce soit les membres du personnel des résidences, les guides touristiques ou notre hôte à l’auberge — pour parler du déménagement d’un aîné dans une résidence pour personnes âgées, utilisait l’équivalent de « placer » ou « mettre » quelqu’un dans une résidence pour personnes âgées. Vraiment ? Oui, à l’exception d’une personne : une amie qui travaille dans le domaine et qui vit dans la région de Chicago. Il semblerait que là-bas on dise plutôt « faire la transition vers une communauté pour retraités ». Oui ! Une personne ! Une seule personne et une seule région trouvées en vingt et un ans de recherche.
Avez-vous déjà eu un projet auquel vous teniez énormément et, au moment de chercher du financement, vous vous rendez compte qu’il ne rentre dans aucune case ? Moi oui. Car il n’existe aucune case pour les projets qui sont destinés aux enfants, mais qui parlent des personnes âgées et qui souhaitent attirer l’attention sur elles pour faire évoluer la société. J’ai donc suivi mon cœur et ma vision pour que ce projet voit le jour… et j’ai poussé un grand soupir lorsque le Québec s’est confiné à cause du COVID-19… La première impression de mon livre Grandma’s Place (La Place de Mamie, traduction à venir sous peu) venait de sortir des presses et attendait d’être expédiée. Sa sortie devra maintenant attendre que le timing soit bon. Quelle ironie. Je vais devoir faire preuve d’encore un peu de patience pour que l’on soit prêts à vouloir changer notre façon de percevoir les personnes âgées dans notre société.
Cela me trouble profondément de savoir qu’il aura fallu qu’une pandémie affecte plus particulièrement notre population âgée et vulnérable pour que notre Premier ministre dise qu’il est maintenant vraiment temps de commencer à prêter attention à nos aînés. Oui, s’il vous plaît ! Oui ! Il faut faire en sorte que cela se produise.
Si nous voulons que les choses changent, voici ce qui, d’après mes années d’expérience sur le terrain et dans mon champ d’expertise, devrait être observé. Je suis certaine qu’il y a bien d’autres points que j’oublie de signaler. Mais pour commencer, voici quelques endroits où cela fera vraiment du bien de voir du changement :
Tout doit commencer dans chacune de nos maisons et dans la façon dont nous montrons à nos enfants à respecter, à rendre honneur et à parler aux aînés ;
Quand nous formons nos employés, nous devons aussi leur montrer comment s’assurer de toujours bien servir la clientèle âgée. Comment ajuster la vitesse de nos échanges et le débit des informations que nous voulons transmettre sans toutefois être infantilisant. Aussi : s’assurer à tout moment qu’il y a une chaise sur laquelle une personne âgée peut s’asseoir et que c’est le dernier meuble qui sortira de la maison le jour du déménagement ! ;
Quand il est question d’établir le curriculum d’un programme d’enseignement, la question du vieillissement et des personnes âgées doivent être abordées. Les personnes âgées doivent être invitée à participer et doivent être vues et entendues comme des personnes bien réelles ;
Au moment de concevoir de la documentation et des bases de données, il ne faut pas oublier que chaque mot compte si l’on veut montrer son respect envers les personnes qui ont construit nos communautés ;
La voix de nos aînés doit être entendue au moment de concevoir les programmes, les services et les équipements qui leur sont destinés. Leurs voix. Leurs commentaires. Et non pas l’interprétation que quelqu’un d’autre en fait ou un formulaire qu’on a rempli en leur nom ;
Dans la façon de financer les programmes et les projets ou encore dans la mise en avant de divers réseaux, nous devons absolument être créatifs et ne pas fermer la porte aux approches qui ne rentrent pas dans les cases ;
Il faut discuter de mesures visant à briser les cycles d’abus émotionnels, physiques et financiers à l’égard des personnes âgées. Qu’il s’agisse des actes d’un membre de la famille, d’un voisin ou d’un professionnel, nous devons tous élever nos voix contre ces abus ;
Nos mots façonnent notre pensée. Si nous voulons du changement, nous devons tout d’abord faire attention au langage que nous utilisons dans nos conversations. Il en va de même pour toutes les entreprises qui ont une clientèle âgée ;
Récemment, il y a eu beaucoup de nouvelles au sujet des résidences pour personnes âgées et des changements qui doivent y avoir lieu. Ayant travaillé pendant des dizaines d’années auprès des personnes âgées et des résidences, il y a sans doute un parti pris de ma part, mais je continue à penser qu’il ne s’agit que d’une petite partie des changements que nous devons faire tous ensemble. Je peux vous dire que si nous n’étions pas prêts à faire face à une pandémie au cours de notre vie, les résidences ne l’étaient pas non plus. En revanche, elles avaient déjà une avance sur la mise en place de protocoles car cela fait partie de leurs plans d’action quotidiens, et ce à plusieurs niveaux, afin de protéger et être au service de leur clientèle vulnérable.
Au cours des vingt dernières années, les personnes âgées sont montées dans ma voiture pour faire le tour de la ville et comparer les diverses options d’hébergement qui s’offraient à elles. Elles m’ont raconté tant d’histoires et offert tant d’émotions pendant que nous étions en train de faire leurs boîtes et de trier leurs effets personnels. Leurs enfants m’ont appelée parce qu’ils ne savaient pas comment leur venir en aide. Après et pendant les présentations dans les centres communautaires et les sous-sols d’église, plusieurs aînés sont venus me dire à quel point ils se sentaient perdus. Et ce regard blessé qu’ils ont quand ils me disent : « Pourquoi ce professionnel m’évite et demande à ma fille de répondre à ma place. Je déteste avoir l’impression d’être transparent(e) ». Et ces mots que j’entends à chaque soirée ou événement d’affaires : « Oh ! Vous travaillez avec les personnes âgées. Ça doit être tellement difficile. Je ne sais pas comment vous faites… » Puis il y a les moments où je suis seule dans mon bureau et que je ne sais pas vers qui me tourner pour avoir de l’aide ou que je n’en reviens tout simplement pas de voir comment on traite les personnes âgées et qu’on parle d’elles. Une aventure pas toujours facile, mais dans laquelle je me suis lancée avec passion.
Ah ! Et si vous pensez que les personnes âgées sont têtues, laissez-moi vous faire un café comme moi je l’aime et non pas comme vous l’aimez (j’espère que vous aimez beaucoup le lait !). Et ce même si vous m’avez dit et répété comment vous prenez votre café d’habitude. Nous sommes tous têtus. Quand nous avons compris que nous aimons ce que nous aimons ou voulons ce que nous voulons, eh bien assumons-le tout simplement comme une partie de soi-même et arrêtons de faire passer cela pour de l’entêtement. Les personnes âgées sont aussi têtues que vous et moi quand elles savent ce qu’elles aiment ou ne savent pas toujours comment faire pour aller de l’avant.
Une transformation majeure — et en deux temps — doit avoir lieu si nous souhaitons un changement en profondeur :
Les aînés doivent garder leur pouvoir. Si les aînés n’occupent plus la place qui leur revient et qu’ils méritent pleinement, nous n’aurons plus assez de vent dans les voiles pour avancer. Je ne suis pas certaine de savoir à quel âge exactement on devient un ou une aîné(e), mais peu importe, nous avons besoin de vous. Allez, venez. Sans vous ce ne sera pas possible.
– Nous avons besoin de vous mes chers/chères doyen(ne)s.
Nous devons voir les aînés pour ce qu’ils sont aujourd’hui et non pas pour ce qu’ils ont perdu avec le temps.
– Ceci nous permet de voir la richesse et la beauté dans les yeux et le sourire de la personne âgée
bien au-delà de sa marchette, de sa canne ou de son appareil auditif.
Pour la photo de cette publication, mon ordinateur est surélevé et prêt à enregistrer une vidéo pour remercier notre premier ministre M. Legault d’avoir fait part de ses préoccupations par rapport au laxisme et au manque d’engagement envers les personnes âgées et d’affirmer qu’il est grand temps aujourd’hui de trouver de meilleurs moyens pour elles. L’ordinateur est posé sur une boîte de livres intitulés Grandma’s Place. Un livre pour enfants qui se lira avec un adulte afin de regrouper deux générations. Son but est de créer un changement dans notre société à l’égard des personnes âgées.
Si nous voulons que les choses changent, nous devons maintenant tous joindre le geste à la parole.
Moi, je dis ce qu’il y a à dire et je fais ce qu’il y a à faire. Et vous ?
* Mes connaissances reposent sur le secteur privé et les commentaires que je partage dans cette publication portent sur les services ou les résidences pour personnes âgées qui relèvent de mon expertise et non pas du secteur et des services publics.