Voyez-la pour qui elle est et non pour ce qu’elle à perdu.

[Tel que publié dans Le Devoir le 21 octobre, 2025]

Quand je suis aux côtés d’un client qui a besoin que je lui ouvre la porte. Ou avec un homme atteint de Parkinson qui a parfois besoin d’un coup de main. Ou lorsque je suis avec d’autres clients qui ont besoin de soutien moral lorsqu’ils ne comprennent plus le monde qui les entoure. Je me demande souvent : Quand devient-on invisible simplement parce qu’on a besoin d’aide ?

Je ne connais personne – ni aucun groupe d’âge – qui n’a pas besoin d’aide, de soutien ou de conseils pour affronter la vie quotidienne. Personne n’est une île. Nous avons tous besoin de pouvoir compter sur quelqu’un.

Alors que se passe-t-il pour que la personne qui est à mes côtés et qui est clairement la raison de notre présence (au magasin, à la clinique médicale, à la banque, au restaurant) devienne quasi inexistante ? Comme si elle ne se trouvait même pas dans la pièce ?

Ma question est sérieuse. Cela m’inquiète. Et j’aimerais bien comprendre.

Quand devient-on transparent ? Parfaitement invisible ? Est-ce que cela arrive à un certain âge ? À un certain moment de notre vie ?

C’est ce dont j’ai été témoin cette semaine, à la fin d’une visite chez le dentiste où j’accompagnais une dame de 94 ans :

« Voici son reçu. Pouvez-vous lui donner, s’il vous plaît ? » m’a dit la secrétaire. D’un geste de la main et en tournant la tête en direction de la personne qui venait de recevoir le traitement, j’ai pu lui faire comprendre : « C’est son reçu. Pas le mien. Vous pouvez lui donner ; elle est juste à côté de moi. »

À plusieurs reprises, quand je travaille, les gens me disent :

« Comment va sa vue ces temps-ci ? » … Demandez-lui, il est juste là.

« Voici tous les papiers. Dites-lui de se rendre au guichet pour prendre un rendez-vous. » … Et si vous lui donniez les papiers et lui disiez vous-même ? Elle est juste là.

Ensuite, bien sûr, je ferai l’assistante, la porteuse de documents ou tout autre tâche nécessaire. Mais tout d’abord, permettez à celui ou celle que j’accompagne de prendre part à la conversation qui la/le concerne et d’être traitée et considérée comme une personne à part entière.

 

À quel moment devient-on transparent ?

Quand on a des taches de vieillesse sur la peau ?

Quand il y a une canne ou un déambulateur dans la pièce ?

Quand une personne ne peut pas se tenir aussi droite qu’avant ?

Quand on a un peu de mal à entendre ?

Quand on arrête de travailler ?

Quand quelqu’un est à nos côtés pour nous aider ?

Quand la vie va trop vite et qu’on ne s’adresse pas à nous de façon à être sûr que l’on comprenne bien ?

Dites-moi s’il vous plaît quand et pourquoi cela arrive car je veux comprendre.

Quand viendra le moment où nous aurons besoin d’aide, de soutien ou d’un peu plus de temps pour saisir toutes les informations qui nous sont communiquées, je suis certaine que nous apprécierons le fait d’être considérés comme les personnes que nous sommes – des personnes à part entière – et que l’on s’adresse à nous avec respect. Car ce jour viendra. Pour vous. Pour moi. Pour chacun de nous.

Et si l’on replaçait cette personne au cœur de la conversation dont elle est le sujet même ?

Vous savez, cette personne vulnérable juste à côté de nous qui reçoit le service, le soin ?

Rendons-leur ce droit. Chaque fois. Partout. Tout le temps.

Trop souvent, et dans tellement de situations différentes, je constate avec frustration à quel point les personnes plus âgées deviennent invisibles.

Quand cet étrange phénomène de transparence prendra-t-il fin ? Aujourd’hui, est-ce possible ?

Pouvons-nous reconnaître aujourd’hui toute la beauté que nous procurent les personnes plus âgées qui nous entourent ? Ceux et celles qui ont construit nos routes, nos ponts, nos systèmes ? Ceux et celles qui ont enseigné à nos enfants et bâti le monde dans lequel nous vivons ?

 

Un geste simple qui peut amorcer le changement

Quand cela se produit – juste là, devant vous – je vous invite à rediriger la conversation vers la personne concernée, c’est-à-dire celle pour qui vous êtes présent.

Paume tournée vers le haut, dirigez votre main vers la personne à qui l’on devrait plutôt s’adresser. Détournez votre regard de celui qui vous parle pour l’encourager à établir un contact visuel avec le client ou la patiente qu’il est en train de servir. Pour qu’il la voit enfin.

Pas vous. Elle.

Vous êtes là pour elle et pour faire en sorte que tout tourne autour d’elle. Apportez votre soutien, mais faites en sorte que la conversation demeure centrée sur cette personne. Encouragez tous ceux qui sont là à la voir : elle. Pas vous.

 

Voyons-les

Quand devient-on transparent ? Quand on commence à marcher plus lentement ? Quand on a besoin d’aide pour certaines démarches ?  Quand on a de la difficulté à ouvrir une porte ou à remplir un formulaire ?

Je ne le sais pas. Mais je sais une chose : nous avons tous besoin d’aide à un moment ou à un autre. Et le jour venu, nous voulons être considérés pleinement, respectueusement et avec dignité.

Commençons dès aujourd’hui. Redirigeons la conversation vers la personne qui est au centre de notre action. Rendons hommage aux aînés qui ont construit nos villages, qui nous ont élevés et qui ont modelé nos communautés. Regardons-les. Voyons-les. Parlons-leur. Redonnons-leur du pouvoir et soyons reconnaissants.

Car un jour, nous aurons nous aussi besoin de quelqu’un à nos côtés pour nous aider. Et ce jour-là, nous voudrons nous aussi être vus.

Je vous invite tous à voir la personne devant vous pour ce qu’elle est aujourd’hui et non pas pour ce qu’elle a perdu avec le temps.