En juillet dernier, j’ai eu l’honneur de présenter ma recherche sur le terrain « #LePouvoirDeNosMots quand une personne âgée fait face à un changement au niveau de son autonomie » à la Conférence internationale sur le vieillissement et la gérontologie qui se tenait à Londres. S’inscrivant dans plus de 26 années d’expérience de soutien auprès des personnes âgées pendant une importante transition de leur vie, ce travail est aussi guidé par la mission de repenser les mots que nous utilisons au sujet du vieillissement lorsque les besoins d’un aîné requièrent une nouvelle organisation – que ce soit à domicile ou dans une résidence – afin de lui permettre de continuer à profiter pleinement de la vie.
Organisée par l’International Academic Forum (IAFOR), la conférence européenne de 2025 réunissait trois champs de connaissance : le vieillissement et la gérontologie, l’éducation ainsi que les arts et les sciences humaines. J’étais un peu nerveuse à l’idée de passer au niveau international, mais l’expérience a été extrêmement enrichissante.
Affichant des conférenciers de marque et des sujets ciblés, les participants avaient donc la possibilité d’explorer leurs propres disciplines tout en jetant un œil à celles des autres.
Lors du premier événement de réseautage, j’ai eu le plaisir d’être assise aux côtés d’Amy : une dirigeante dynamique qui s’apprêtait à quitter son poste de cadre assurant la gestion d’une équipe de 50 personnes pour se lancer dans la nouvelle aventure du monde de l’entreprenariat et de l’IA. Son enthousiasme était contagieux. Elle parlait avec fougue de la façon dont l’intelligence artificielle allait transformer nos vies et nos entreprises. Et surtout, elle voulait s’assurer que ce soit de façon positive. J’étais très heureuse pour elle et j’admirais son audace. Voilà quelqu’un qui avait vraiment la flamme !
Au cours de notre conversation, j’ai confié à Amy que je comptais me rendre à Oxford dans l’espoir de rencontrer un responsable du Oxford English Dictionary (OED). Je voulais m’entretenir avec cette personne au sujet du poids émotionnel des mots « put » (« mettre ») et « place » (« placer ») que l’on utilise dans le contexte d’une personne âgée qui déménage dans une résidence et du rôle que jouent les dictionnaires dans l’évolution éclairée de la langue. J’ai pu constater à quel point ces deux mots sont lourds de sens et comment ils affectent chaque conversation au sujet du vieillissement. On peut lire dans ce grand dictionnaire de référence pour la langue anglaise : Put : To put Mom in a nursing home, c’est-à-dire Mettre : Mettre Maman dans une maison de retraite. J’aimerais que cela change. Même si ce n’est pas le seul dictionnaire dans lequel on peut lire une telle suggestion, je me suis dit que puisque j’étais dans les parages, je commencerais par là après la conférence.
Sur le chemin du retour à Londres, je me suis aussi arrêtée dans une communauté de retraite très spéciale qui enseigne la langue des signes en guise d’activité afin de rompre l’isolement de ses résidents qui ont du mal à entendre. Leur travail avisé a prospéré après avoir été présenté dans le documentaire Old Hands, New Tricks. Et ma recherche sur le terrain m’a littéralement fait voir que la langue est très différente – tellement plus dure et pointue – quand quelqu’un signe « placer Maman » plutôt que « aider Maman à déménager ».
Je me suis donnée pour mission de faire changer les mots que nous utilisons lorsqu’une personne âgée fait face à un changement au niveau de son autonomie de sorte que nos paroles ne soient plus des mots écrasants, mais des mots qui redonnent du pouvoir.
Amy a assisté à ma présentation et m’a avoué qu’elle avait été bouleversée par les idées que j’avais exposées au sujet du pouvoir de nos mots et de l’urgence de repenser la façon dont nous parlons du vieillissement. Au cours de la conférence, nous avons tout d’abord bien connecté autour de choses simples telles que les musées à visiter, mais très rapidement, nous avons commencé à échanger des idées au sujet du milieu de l’entreprise, de son but et du travail de transformation assez osé que nous avons toutes les deux entrepris. Ma plus grande surprise a été de voir à quel point ma mission de redonner du pouvoir aux personnes âgées à partir du langage trouvait un écho chez une personne qui faisait son entrée dans l’univers de l’IA.
Cette semaine, j’ai reçu un message d’Amy qui m’a arrêtée dans mon élan :
« En me préparant à passer ma certification, j’ai pensé à toi et à comment notre utilisation des mots peut avoir un impact aujourd’hui. Le cours que je suis présentement a été mis à jour et est passé de la confidentialité des données à une attention plus particulière à l’IA (ce qui est logique étant donné le monde actuel).
Il y a maintenant une section consacrée à « comment l’IA peut s’émanciper de la surveillance humaine ». Après avoir fait une recherche sur Google, j’ai pu voir que le mot « émancipation » est devenu un terme technique très populaire pour parler de la façon dont l’intelligence artificielle peut outrepasser l’humain dans la prise de décisions.
C’est de la pure folie. Pourquoi ne pas parler d’automatisation complète ou de prise de décision entièrement autonome ? Le simple fait de parler d’émancipation est un anthropomorphisme et cette attribution de caractéristiques humaines change la façon dont on aborde la question.
Et ce cours est censé être consacré à la conformité éthique. Ça fait peur. Mais voilà où nous sommes rendus, j’imagine. »
Ses mots ont fait écho à mes propres inquiétudes. Le mot émancipation utilisé pour décrire une IA qui n’est plus sous la supervision humaine possède de fortes connotations. Le mot est vidé de son sens et tord la façon dont nous envisageons les conséquences éthiques.
En effet, notre interprétation joue un rôle majeur dans notre façon d’aborder une problématique ! Nos mots affectent nos pensées et nos pensées affectent nos actions.
Je n’avais jamais pensé que mon travail auprès des aînés – si ancré dans la réalité et les aspects plus « crus » de la vie – me reviendrait par le monde abstrait et éblouissant de l’IA. Constater l’impact que peut avoir mon travail et comment l’oreille d’Amy est devenue sensible aux mots douteux dans un autre domaine m’a apporté une grande fierté et une immense joie.
Nos mots ont du pouvoir dans tout ce que nous faisons et je suis extrêmement fière de participer à ce changement. Le changement ne prend pas toujours l’aspect de vastes réformes. Souvent, il prend doucement forme dans les conversations, les réflexions et le courage de remettre en question les mots que nous utilisons quand ceux-ci semblent sonner faux. Nous avons tous le pouvoir non pas seulement d’encourager le changement, mais de le provoquer. En partageant nos points de vue et en questionnant les mots qui ne sonnent pas bien à notre oreille ou à notre cœur, nous pouvons créer un avenir plus éclairé pour chacun.